Les requins, des prédateurs devenus proies ![Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Des requins victimes de "finning": leurs ailerons ont été coupés et le reste a été rejeté à la mer.
Dans le cadre de la nouvelle exposition "Vivent les requins !" de l'Aquarium de Paris, Bernard Seret, spécialiste de l'Institut de recherche pour le développement a tenu mardi 11 septembre une conférence sur le thème "Les requins : des prédateurs devenus proies". Celui-ci tire la sonnette d'alarme sur la situation de surpêche et les
conséquences qu'elle pourrait avoir sur l'ensemble des océans. L'image de prédateur ultime lui colle à la peau et pourtant le
requin est infiniment plus la proie de l'homme que l'inverse. C'est ce qu'a tenu à souligner mardi dernier Bernard Seret de l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et du Muséum national d'histoire naturelle lors de la première des cinq conférences organisées à l'
Aquarium de Paris dans le cadre de l'exposition
"Vivent les requins !". Lors de son intervention, le spécialiste a en effet rappelé les dégâts causés par la surpêche sur les populations de requins.
Malgré le fort intérêt du public mû par un mélange de peur et de fascination, les requins restent des animaux encore mal connus. Si la famille des poissons cartilagineux, celle des requins mais aussi des raies et des chimères, compte environ 1.200 espèces répertoriées, 21% d'entre elles n'ont été découvertes que lors des deux dernières décennies. Or, ces seigneurs des mers restent des espèces fragiles, en particulier à cause de leur lente reproduction.
Ainsi, si le requin baleine peut donner naissance à jusqu'à 300 petits par gestation, une espèce très consommée comme l'aiguillat commun n'arrive à maturité sexuelle qu'au bout de 10 à 25 ans pour ne donner que quatre petits requins au bout
d'un an et demi à deux ans gestation. Bien qu'il puisse vivre jusqu'à une centaine d'années, on imagine bien alors que cet animal soit particulièrement fragile en cas de surpêche.
1,6 million de tonnes de requins pêchés chaque année Il faut dire que le nombre, déclaré, de captures de requins a triplé en cinquante ans et n'a commencé à diminuer qu'autour de 2003. Aujourd'hui, la production officielle est de 800.000 tonnes de requins pêchés. Mais ce chiffre est incomplet car la Chine ne fournit pas de statistiques et les prises rejetées en mer ne sont pas inclues dans ce chiffre. On atteindrait ainsi au final 1,6 million tonnes de requins réellement pêchées par an, selon Bernard Seret.
Une soixantaine d'espèces, sur les 500 connues, sont pêchées selon la
Food and Agriculture Organization (FAO). Avec officiellement 35.000 et 24.000 tonnes, le requin peau bleue et l'aiguillat sont en haut du tableau. L’océan Atlantique est lui, avec 320.000 tonnes, le lieu où la pêche aux requins reste la plus importante. Mais la surpêche a d'ores et déjà eu des effets dévastateurs. On estime par exemple qu'il ne reste que 10% du stock initial de requins-taupes dans les eaux françaises tandis
que le requin-marteau a disparu de la Méditerranée en 1997.
La pratique la plus dévastatrice reste néanmoins le
"finning",
qui consiste à ne garder que les nageoires de requin avant de relâcher le reste des carcasses à la mer. Les ailerons font en effet l'objet d'un fort commerce en Asie et se vendent entre 300 et 500 euros le kilo selon leur qualité. Une fois séchées et traitées pour la commercialisation, ces nageoires ne représentent plus que 1% du poids total du requin. On imagine l'immense gâchis quand tout le reste est rejeté à la mer.
Un risque de "famine sous-marine"Pourtant ces ailerons, servis en soupe, n'ont pas vraiment de goût. Ils offrent à la place une consistance appréciée de nombreux gourmets asiatiques : à la fois tendre et croquante. Face au massacre, des industriels japonais ont tout de même eu l'idée de mettre au point
"une sorte de surimi d'aileron", comme l'appelle Bernard Seret, fabriqué à partir d'autres parties du requin. Cela réduit considérablement le gaspillage mais n'a pour l'instant pas séduit les consommateurs.
Or, si cette surpêche est catastrophique pour les requins, la menace qui plane sur eux n'est pas sans conséquences pour l'homme. Loin de pouvoir se réjouir de subir moins d'attaques, les espèces pêchées n'étant de toute façon en général pas dangereuses, l'homme risque un effet pervers de dégringolade en
cascade. Dans son article publié en 2001 intitulé
"fishing down the food web", le chercheur français Daniel Pauly a expliqué que la disparition des super-prédateurs gonflerait brusquement la population d'espèces intermédiaires. Celles-ci se mettraient alors à ravager leurs réserves de nourriture au point de déclencher une véritable famine sous-marine.
Après la disparition de poissons comme le thon, il ne resterait rapidement que de petites espèces sans intérêt commercial ou nutritif pour l'homme. Cette situation existe déjà au large de certaines côtes de la Namibie où les eaux sont saturées de planctons sans que cela ne favorise l'implantation de nouveaux poissons. Afin d’éviter de telles catastrophes et d'aider à établir des quotas et des méthodes de pêches qui garantissent le renouvellement des stocks de requins, Bernard Seret suggère ainsi une visite sur
le site internet de Shark Alliance, une ONG qui s'efforce de peser sur les décisions prises à Bruxelles en matière de pêche.
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