L’énigme du requin féroce de BretagneUn requin féroce a été découvert sur une plage du Morbihan. Un échouage mystérieux à propos duquel nous avons interrogé deux spécialistes des squales. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Requin féroce (Odontaspis ferox) découvert sur une plage du Morbihan samedi 21 septembre
2013.C'est une étrange et macabre découverte que des promeneurs ont faite sur
une plage de Pénestin, samedi 21 septembre au matin. Sur le sable gisait un
"requin féroce" (Odontaspis ferox). Un squale qui, d'habitude, ne fréquente que des eaux chaudes.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Localisation de la commune de Plénestin, dans le Morbihan.Rapidement alertées par les pompiers, les représentants de l'APECS (Association pour l’étude et la conservation des sélaciens) et de la station biologique de Concarneau se sont rendues sur place afin d'étudier la dépouille de l'animal. Un imposant spécimen de 3,24m de long et pesant 220 kg, chiffre l'APECS.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Les biologistes étudient la dépouille du requin découvert sur la plage.À première vue, tout laisse à penser qu'il s'agit d'un échouage exceptionnel. Pourtant, cet évènement rarissime s'est déjà produit l'année dernière ! En aout 2012, sur
la plage d'Agon Coutainville, en
Normandie,
un autre requin de la même espèce s'était lui aussi échoué. Encore vivant, il avait alors pu être remis à l'eau.
S'agit-il d'une coïncidence ? Peut-on y voir un effet du réchauffement climatique ? Cet animal est-il dangereux ? Nous avons posé ces questions à deux spécialistes des requins :
Bernard Seret, biologiste marin à l'Institut de recherche pour le développement (IRD), et chercheur au laboratoire d'ichtyologie du
Muséum national d'histoire naturelle ; ainsi qu'à
Eric Stephan, chargé de mission scientifique à l’Apecs (Association pour l’étude et la conservation des sélaciens).
- S'agit-il d'un animal dangereux ?
Contrairement à ce que son nom laisse à penser, le requin féroce ne fait pas partie des squales dangereux pour l'homme
(1). Certes, il s’agit d’un animal imposant qui peut dépasser les 4 mètres de long et peser plus de 250 kilos. Et il est vrai qu’avec ses dents comme des poignards et sa gueule ouverte en permanence, il n’a pas l’air très commode. Cet aspect belliqueux est d'ailleurs à l'origine de son nom.
Toutefois, l'animal est moins "féroce" qu'il en a l'air.
"S’il nage la gueule ouverte, c’est en fait pour s’oxygéner, explique Bernard Seret. D'ailleurs, on a jamais recensé d'attaques de cet animal sur l'homme" précise le biologiste.
La raison est double. Tout d'abord, du fait de son affection pour les grandes profondeurs et pour le large, ce prédateur a rarement l’occasion de croiser des humains. Ensuite, malgré sa grande taille, son régime alimentaire se compose principalement de poissons relativement petits.
(1) Les espèces les plus dangereuses pour l'homme sont le grand requin blanc, le requin tigre, le requin bouledogue, le requin mako et le requin longimane.[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Dents de requin féroce."Sa denture est caractéristique de ce régime alimentaire" explique
Eric Stéphan. Ses dents pointues lui permettent de poignarder des petits poissons qu’il engloutit ensuite. Mais elles ne sont pas tranchantes et ne lui permettent donc pas d’arracher des morceaux de chair à de plus grandes proies comme peut le faire
un grand requin blanc ou
un requin tigre.[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Dents triangulaires et dentelées de grand requin blanc (en bas) et celles en forme de lame inclinée du requin tigre (en haut)
Quand bien même le requin féroce viendrait à s'installer du côté de la Bretagne, les baigneurs n'auraient donc pas à s'en inquiéter pour autant.
- Faut-il incriminer le réchauffement climatique ?
Est-ce le réchauffement des océans qui a poussé ces grands squales à remonter plus au nord pour chercher des eaux plus fraiches ? L'hypothèse ne peut ni être écartée, ni étayée.
"Le réchauffement climatique n’impacte pas directement les requins explique Bernard Seret. Ces animaux sont capable de supporter des gradients de température très importants. Le grand requin blanc, par exemple, peut évoluer dans des eaux dont la température va de 6°C à 26°C" chiffre-t-il.
"Indirectement, en revanche, le réchauffement climatique pourrait modifier les aires de répartition des requins en modifiant celles de leurs proies" précise le biologiste. De ce fait, si la nourriture migre vers des eaux plus froides, il y a fort à parier que les squales vont lui emboîter le pas.
Toutefois, rien n'indique à l'heure actuelle que les requins féroces aient migré vers le nord et qu'une population de ces squales se soit installée au large de la
Bretagne. "Ces deux évènements successifs sont intrigants, mais ils ne sont pas révélateurs d'un phénomène de migration massive" relativise
Bernard Seret.
- Est-il rare qu'un squale quitte ainsi son habitat ?
Certes on a à peu près autant de chances de croiser un requin féroce en Bretagne que de trouver un piranha dans la Seine. Mais la chose n'est pas impossible
(2) .
"C’est assez courant que des espèces exogènes sortent de leur aire de répartition, explique Bernard Seret. Il suffit que les conditions soient favorables. Le déplacement d'un masse d’eau chaude peut inciter quelques individus à quitter leur habitat habituel. Mais même en l’absence de facteurs environnementaux particuliers, il peut arriver que certains individus, plus aventureux, décident de partir à l’aventure explorer de nouvelles zones" précise le biologiste.
D'ailleurs, ce
requin féroce n'est pas la première espèce incongrue surprise en train de rôder le long des côtes françaises.
"Un requin tigre a déjà été pêché en Vendée en 2007, non loin de Fort Boyard. Un requin blanc a été signalé à la Rochelle en 1973, et un autre à Sète en 1991. Un requin citron aurait également été aperçu en baie de Saint Brieuc" énumère
Bernard Seret.Le biologiste rappelle d'ailleurs que cette espèce de requin féroce a d'ailleurs été décrite pour la première fois en 1810 d’après un spécimen capturé… le long des côtes françaises, à
Nice.(2) Un pêcheur à la ligne a capturé dans la Seine un pacu, un cousin végétarien du piranha, le 30 août dernier.
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- Pourquoi ce requin s'est-il échoué sur la plage
C'est là que réside sans doute la plus grande énigme de cette histoire. Non seulement l'animal n'est pas coutumier de ces latitudes, mais en plus, il affectionne plutôt les eaux profondes, entre 300 et 800m. Le requin féroce est donc bien moins susceptible de s'échouer sur une plage qu'une espèce côtière adepte de la nage en surface.
"L’espèce n’a été signalée dans des eaux moins profondes que dans quelques secteurs, en particulier dans des archipels éloignés tel que l’archipel de Malpelo dans le Pacifique (Colombie), ou plus près d’ici les Canaries ou les Açores, ainsi qu’en Méditerranée" explique l'APECS sur son site.Mais même lorsqu'il évolue dans des eaux moins profondes, ce requin le fait tout de même à une cinquantaine de mètres sous la surface. Il est donc très peu probable qu'un poisson de cette espèce se soit fait piéger sur la plage lors du reflux de l'eau à marée basse.
Une énigme encore sans solutionL'animal retrouvé sur la plage a-t-il été désorienté par une maladie ? "L’autopsie n’a rien montré de flagrant, affirme Eric Stephan. Son estomac n’était pas rempli de plastique, son poids était normal pour sa taille… Rien ne laisse donc supposer qu’il s’agissait d’un animal malade".Pourrait-il s’agir du cadavre d’un animal mort dans son biotope d'origine, et qui aurait dérivé sur des kilomètres en surface avant d’arriver sur la plage ? "Cette hypothèse n'est pas du tout envisagée. Non seulement le requin était en très bon état mais nous savons par plusieurs témoins qu'il s'est échoué vivant le samedi matin" objecte
Eric Stephan.Quoi d'autre alors ?L'oeuvre d'un pêcheur ?L'une des hypothèses les plus crédibles est que ce requin a été pêché par un navire au large, puis qu'il a été jeté par dessus bord par la suite. En effet, peut-être que le pêcheur s'est rendu compte qu'il s'agissait d'une espèce protégée (
Odontaspis ferox est en effet considérée comme "vulnérable" par l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)).
"Le requin, trop affaibli pour repartir correctement, aurait été alors ramené à la côte par les courants et la marée" imagine
Eric Stephan.Pour explorer cette piste, l’APECS lance donc un appel à témoins auprès des professionnels de la pêche.
"Si un bateau de pêche a effectivement pris ce requin dans ses filets, qu’il n’hésite pas à contacter l’association pour donner des informations sur le lieu de capture. L’association est également intéressée par tout autre témoignage, qu’il s’agisse de captures passées ou futures, en Atlantique ou en Manche" annonce l'association.
Requins : la peur au large ?[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]
Requin féroce (Odontaspis ferox) découvert sur une plage du Morbihan samedi 21 septembre 2013. Bien qu'il ait l'air patibulaire, aucune attaque d'un squale de cette espèce na jamais été recensée sur l'homme
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