The wire, cinq saisons de "social science fiction" (+ sur le forum : vidéo The best of The Wire en VO .S.1 134mn)Par Arnaud Devillard
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le.cricket Admin
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Sujet: The wire, cinq saisons de "social science fiction" (+ sur le forum : vidéo The best of The Wire en VO .S.1 134mn)Par Arnaud Devillard Dim 23 Mar - 18:51
The wire, cinq saisons de "social science fiction"
Créée par un ancien journaliste et un ancien policier de Baltimore, cette série est devenue un modèle de décryptage du malaise urbain américain pour nombre de chercheurs en sciences sociales. Un livre revient sur le sujet.
Etrange objet télévisuel que "The wire" (Sur écoute, en français), série policière diffusée sur HBO entre 2002 et 2008 centrée sur la ville de Baltimore et ses quartiers défavorisés minés par le trafic de drogue. Pas de héros central, des personnages complexes et soignés y compris chez les « méchants », pas d’action trépidante, une précision quasi documentaire, de longues scènes dialoguées et des acteurs impeccables de justesse.
Ses créateurs David Simon, ancien reporter du Baltimore Sun, et Ed Burns, ex-inspecteur de la bridage criminelle et des stupéfiants, refusent d’ailleurs de la qualifier de série policière. Malgré un audimat modeste à l’époque (à l’échelle américaine), elle attire aujourd’hui un déluge de louanges. Plus étonnant, elle tient une place de choix dans le monde académique, analysée, citée, étudiée voire utilisée en cours par des spécialistes en sciences politiques, en sociologie urbaine, en économie ou en sociologie des ghettos.
Au point que la criminologue britannique Ruth Penfold-Mounce a parlé d’une « social science fiction ». Ce rapport étroit entre la série et les sciences sociales est l’objet d’un livre collectif paru fin février, The wire, l’Amérique sur écoute (La découverte).
Avec The wire, ses auteurs veulent contrecarrer le discours très présent aux Etats-Unis selon lequel les pauvres seraient responsables de leur situation, par fainéantise, manque d’initiative ou irresponsabilité. Pour cela, chacune des cinq saisons aborde un univers social différent (le monde de la drogue, les docks, la politique, le système éducatif, la presse) comme autant de chapitres d’une étude à « l’ambition sociologique totalisante » (Fabien Truong, agrégé de sociologie à Paris VIII).
Le Baltimore de The wire correspond à une évolution très précise relatée par Marc V. Levine, historien spécialisé dans les études urbaines à l’université du Wisconsin-Milwaukee. Celle d’un réaménagement progressif de l’ancien port (le Inner Harbor) via des aides publiques accordées à des promoteurs privés pour en faire une zone d’attraction touristique et consumériste (voir les saisons 2, 3 et 5). Mais au détriment d’une politique de l’emploi ou du logement dans des quartiers laissés à l’abandon. Un comble : le projet immobilier du Inner Harbor est considéré dans le monde comme un modèle de revitalisation urbaine ! Or, ces projets ne servent que de vitrine, masquant une réalité de pauvreté, de chômage et d’inégalités sociales et raciales.
Les sociologues de Harvard William Julius Wilson (dont l’un des livres a inspiré la saison 2) et Anmol Chaddha ont bâti tout un cours consacré à The wire. Car pour eux, la série met en scène le concept d’"effet de concentration" forgé par Wilson quinze ans auparavant pour décrire la dégradation du ghetto noir.
Dans les années 70 et 80, la construction d’autoroutes urbaines a provoqué un exode des usines en périphérie mais aussi celui de leurs employés, laissant en centre-ville les familles pauvres et sans emploi. Les commerces ont alors à leur tour fermé. Ainsi, les centres urbains ont perdu de leur mixité sociale, les pauvres et les chômeurs noirs ne côtoyant que des pauvres et des chômeurs noirs. Un univers fermé s’est créé, où les activités illégales, le trafic de drogue en tête, sont apparus comme les seules opportunités disponibles pour s’en sortir, surtout auprès des jeunes. Une mécanique parfaitement montrée dans les saisons 1, 4 et 5.
En 1970, l’économiste Albert O. Hirschman publiait un ouvrage devenu référence, Exit, voice and loyalty. Il y décrivait les trois attitudes dont des individus insatisfaits disposent face à une situation qui se dégrade dans une organisation : se désengager (exit), protester ou émettre des suggestions de réforme (voice), s’incliner et continuer comme avant en espérant éventuellement que les choses évoluent (loyalty).
Fabien Desage et Julien Talpin, tous deux maîtres de conférence en sciences politiques à Lille 2, retrouvent cette typologie dans les attitudes des personnages de The wire. Les policiers McNulty et Colvin ou le conseiller municipal et futur maire Carcetti sont ainsi dans le voice. De même que, à l’école, l’ancien policier devenu enseignant « Prez » ou encore Bodie par rapport au gang Stanfield dans la saison 4. Les jeunes Wallace et D’Angelo meurent d’avoir voulu sortir du clan Barksdale. Le lieutenant Daniels est attaché à la loyauté avant que des circonstances devenues intenables ne le poussent vers l’exit.
Mais, souligne Julien Talpin, The wire montre rarement le voice des habitants. Il y a « très peu de prise de parole, que ce soit de façon individuelle ou collective. » C’est l’un des principaux reproches adressés à la série : elle n’évoque aucune d’initiative des habitants, aucun citadin s’organisant pour s’attaquer à un problème, rien du tissu associatif et, d’ailleurs, met en scène peu de gens ordinaires.
The wire véhicule « le mythe selon lequel les pauvres, surtout les noirs pauvres et les ouvriers noirs, sont des victimes sans défense, incapables de s’engager dans des actions collectives pour le changement » alors même que telles actions ont existé à Baltimore, relèvent Peter Dreier, enseignant en sciences politiques à l’Occidental College de Los Angeles, et John Atlas, président du National Housing Institute. La vocation réaliste et sociologique de la série touche là ses limites. Une « social science fiction », certes, mais une fiction avant tout. The wire, l’Amérique sur écoute sous la direction de Marie-Hélène Bacqué, Amélie Flamand, Anne-Marie Paquet-Deyris et Julien Talpin, La découverte, 2014, 272 pages
The wire Season 1 - The Best scenes
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le.cricket vous salue bien !
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