De nouvelles études spectroscopiques conduites à l’aide de l’observatoire Keck II suggèrent que l’eau de l’océan d’Europe rejoint bien parfois la surface de la lune glacée de Jupiter. Les observations permettraient même d’en déduire des informations sur la composition de cet océan, qui ressemblerait à ceux de la Terre. Une découverte de bon augure pour les futures missions de recherche de la vie sur Europe.
Un article récemment déposé sur arxi par deux planétologues du California Institute of Technology (Caltech) où enseignait Richard Feynman aurait sans aucun doute plu à Arthur Clarke et Carl Sagan s'ils étaient encore parmi nous. Il concerne des analyses spectroscopiques de la composition de la surface d'Europe, la célèbre lune glacée de Jupiter.
On sait depuis les missions Voyager, auxquelles a participé André Brahic, que la surface d’Europe, l’une des lunes de Jupiter découvertes par Galilée, présente l’aspect d’une banquise. Peu cratérisée, cette surface est donc très jeune. De multiples structures font penser que de l’eau liquide doit y exister en profondeur et parfois rejoindre la surface à l’occasion de processus tectoniques générant des fractures.
Un océan liquide sous la glace d’Europe grâce aux volcans
Europe fascine les exobiologistes, car l’on pense que ce qui maintient liquide son océan est l’activité de volcans tirant leur énergie de la chaleur dissipée par les forces de marée de Jupiter dans cette lune. On sait que ces forces sont responsables de l’existence d’un océan de magma sous la surface d’Io, une autre lune, volcanique, de Jupiter. Or, sur Terre, l’activité volcanique au fond des océans conduit à l’existence de cheminées hydrothermales entourées d’écosystèmes.
On pense même que la vie est peut-être née sur notre planète dans ces cheminées. Tous ces phénomènes pourraient donc exister sur Europe, et c’est pourquoi l’on envisage de faire pénétrer une sonde robotisée dans son océan.
Que cache l'océan d'Europe ? Dans cette vidéo d'anticipation, une sonde dépose un engin sur cette lune de Jupiter capable de forer la banquise en fondant la glace grâce à un générateur nucléaire. Il libère ensuite un sous-marin, et c'est ainsi que l'exploration et la conquête de l'océan d'Europe pourrait débuter pendant le XXIe siècle.
Toutefois, cela fait un moment que l’on essaye d’en savoir plus sur la composition de cet océan, dans l’espoir de pouvoir poser des contraintes sur l’existence d’une forme de vie qu’il pourrait abriter ou non.
On sait par exemple que des matériaux éjectés par Io se retrouvent sur Europe. Riches en soufre, ces matériaux auraient pu conduire à la formation d’un océan tellement acide que la probabilité que des extrêmophiles aient pu s’y développer soit nulle, selon certains.
Lors de la mission Galileo (1989–2003), on avait donc tenté de déterminer la composition de la banquise d’Europe à l’aide d’un spectromètre mesurant dans l’infrarouge. Hélas, la résolution de l’appareil s’était révélée insuffisante pour départager les différentes hypothèses. On savait tout de même qu’il y a une différence d’aspect entre les deux hémisphères d’Europe.
Observations délicates dans l'infrarouge
Ce satellite réalise des rotations synchrones autour de Jupiter, tout comme la Lune autour de la Terre. L’hémisphère pointant dans la direction de mouvement d’Europe est d’aspect jaunâtre, alors que l’autre est d’aspect rougeâtre. C’est sur ce dernier que les champs magnétiques de l’environnement de Jupiter font chuter des sulfures en présence d’Io. C’est aussi sur cet hémisphère que Galileo avait détecté des signes nets de la présence d’une glace n’étant pas composée d’eau pure.
En utilisant l’OH-Suppressing Infrared Integral Field Spectrograph (Osiris) équipant l’observatoire Keck au sommet du Mauna Kea, Mike Brown et Kevin Hand ont profité des progrès de l’optique adaptative pour déterminer depuis le sol que la glace présente sur l’hémisphère arrière d’Europe contenait de l'epsomite (une espèce minérale formée de sulfates de magnésium hydratés de formule MgSO4·7H2O), contrairement à celle de l’hémisphère avant.
Une vue d'artiste en coupe de la banquise d'Europe. Des diapirs de glace salés sont en train de remonter à droite, alors qu’Io est bien visible en éruption à gauche de Jupiter. Un cryovolcan est actif à gauche sur la surface d'Europe.
D’après les chercheurs, le magnésium ne peut provenir que de l’intérieur d’Europe, mais pas ce sulfate de magnésium. Comme on ne le trouve que sur la partie d’Europe où tombent en abondance des sulfures en provenance d’Io, ce composé doit être le produit d’une réaction entre de l’eau de l’océan d’Europe surgissant en surface et les matériaux originaires de la lune volcanique de Jupiter.
Un océan proche de ceux de la Terre ?
Or, depuis 15 ans, on sait qu’Europe est entourée d’une atmosphère d'atomes de sodium et de potassium provenant probablement de sa surface. On pouvait en déduire qu’ils provenaient soit de sulfures, soit de chlorures présents dans l’eau de l’océan d’Europe ayant là aussi rejoint sa surface.
En mettant ensemble ces observations, on arrive donc à la conclusion que non seulement il y a bien des remontées d’eau provenant de l’océan intérieur d’Europe, malgré les 100 km d’épaisseur supposés de sa banquise, mais que cette eau permet d’échantillonner la composition chimique de cet océan, qui semble dominé par des chlorures et non par des sulfures. Très probablement, et selon la déclaration de Mike Brown,« si vous pouviez nager dans l’océan d’Europe et le goûter, il aurait tout simplement le goût de l’eau de mer normale ».
Si cette composition était confirmée, cela renforcerait la thèse qu’une vie similaire à celle que l’on connaît dans les océans sur Terre existe peut-être sur Europe.
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Exobiologie : la composition de l'océan d'Europe se précise Par Laurent Sacco