Facebook et les manipulateurs ! Libérer la parole des victimes, c’est aussi les soulager d’un poids lourd à porter qui revient logiquement aux coupables. Sans voyeurisme, un reporter le fait tout en finesse chaque semaine…
Après les images de publicité, submergé de courts reportages enchaînés à un rythme fou pour tenir dans le format imposé du 20 h – 30 minutes – le téléspectateur finira-t-il par se transformer en zombie décérébré au cœur de pierre ? Pas tant qu’il y aura d’excellents documentaires pour lui offrir d’autres angles de vue et la possibilité d’analyser ces actualités en profondeur. A lui de se faire une opinion ensuite… Diffusé sur France 2,« Dans les yeux d’Olivier » est l’un de ces trésors du service public qu’il faut voir.
Journaliste, Olivier Delacroix s’efforce de replacer l’humain, ses sentiments et ses émotions au centre de l’information. Il part à la rencontre d’hommes et de femmes dont il recueille le témoignage. Dernièrement, il s’est intéressé aux réseaux sociaux et à la manipulation mentale. Autant faire d’une pierre deux coups à l’instar du petit Poucet, car les uns et les autres sont souvent liés. Jeunes et moins jeunes, quelque soit notre profession, notre milieu social, nous pouvons être concernés. Et il paraît utile de le marteler, même ici, encore et encore…
Des collégiens aux lycéens, des parents aux grands-parents, des voleurs aux gendarmes, des ingénieurs en informatique aux cybercriminels, des plongeurs aux aviateurs, nous sommes tous sur Facebook, Twitter, Pinterest et les autres. Et si elle s’intéressait davantage aux mathématiques et au ciel qu’aux réseaux sociaux, jamais cette pilote de la marine n’aurait pu imaginer ce qui allait lui arriver sur Facebook.
Elle avait simplement mis sur son mur quelques portraits d’elle. Quelques vols plus tard – de photos, pas d’avion… – elle faisait l’objet de photomontages à caractère pornographique. Son visage avait été positionné parmi des sexes masculins et féminins sans que l’on puisse identifier les personnes autour. Puis, après d’ignobles recadrages et retouches photos imaginées au centimètre près, ces clichés qui travestissaient la réalité avaient été postés sur la toile !
Aussitôt informée, la jeune femme essaya de répondre aux questions : où ? quand ? comment ? pourquoi ? qui ? Démarche classique de la police scientifique, oui… C’est avec une facilité déconcertante et en quelques clics qu’elle démasqua le coupable, au premier abord insoupçonnable. Malgré les pseudonymes employés sur les réseaux sociaux et autres sites web marchands – autant d’empreintes numériques laissées un peu partout – l’origine du mal ne faisait aucun doute. L’agresseur était ce que Facebook se borne à appeler un ami. Derrière les coups de pouce haut et les commentaires se cachait donc la malveillance ! Pire, ces personnes étaient même liées professionnellement et se côtoyaient régulièrement…
« J’ai une grosse carapace qui m’a permis de tenir, mais intérieurement ça a été un enfer » confie l’aviatrice. Immédiatement, sa hiérarchie et ses collègues l’ont soutenue, découvrant stupéfaits pour certains qu’eux aussi avaient été abusés. Elle a porté plainte. Et s’exprimant au nom des gens touchés par ces bourreaux du Net, sa démarche de témoigner à visage découvert devant les médias est un acte de résistance qui a le mérite de montrer que même démolis sur les réseaux sociaux, on peut se relever avec dignité. Olivier Delacroix a d’ailleurs signalé en cours d’interview n’avoir pas sécurisé son compte au moment de son inscription, faille de l’histoire ici ! Et cela ne va pas en s’arrangeant : Facebook exige toujours plus de clics pour « blinder » réellement le compte. Une complexité de passoire numérique qui interpelle, au moins les utilisateurs d‘Apple habitués à plus de simplicité…
Autre cas, un faux profil sympathise avec sa cible sur le réseau social. En quelques semaines, la confiance s’installe. Photographe, possible shooting en épaishabits d’hiver sur fond de paysage blanc : rien de mal là à voir dedans, la neige est supposée refroidir les ardeurs. Sauf que ? C’est un traquenard. Appareil photo en mains, la personne arrive au domicile de son nouveau Top Model, s’y introduit en l’absence de témoin et finit par l’obliger à poser dans la nudité… Et les larmes d’angoisse !
« Je suis ton maître, tu dois m’écouter » exige ce Dark Vador comme s’il s’adressait à une bête. Mais en face de lui, c’est bien un être humain qui doit affronter cette bêtise et n’a plus qu’une envie, que son calvaire se termine au plus vite. Deux heures… Deux heures d’un viol organisé et photographié sous toutes les coutures qui sera plus tard utilisé pour faire du chantage par mails signés « Ton maître » ! Punition suprême du petit monsieur en mal de reconnaissance, il faut se taire.
Sinon, les mises en scène immortalisées par l’appareil photo seront diffusées sur la toile. Et elles le seront : sur des sites libertins. Avant cela, prostrée, harcelée, la victime ne dit rien à ses proches, s’enferme sur elle-même, ne dort plus et se laisse dépérir. « J’ai eu des idées très noires. Je m’en voulais terriblement » se remémore-t-elle. « Je n’oublierai jamais de ma vie ce qui m’est arrivé. Après, avec le temps, on apprend à vivre avec… » explique celle qui, entourée par les siens, a joliment repris le dessus.
Autre danger, les brouteurs. Les oursins et poissons-perroquets du corail ? Presque… Les maîtres chanteurs organisés en réseaux. Ils échafaudent un scénario amoureux à l’avance : jouer sur les sentiments pour se faire de l’argent sur le dos des victimes. Pour ferrer leur proie qui se trouve derrière l’écran, de l’autre côté de la mer Méditerranée, ils lancent des lignes par mails ou Facebook. La personne doit tomber sous le charme d’un physique agréable. Hélas, c’est dans des filets de pécheurs qu’elle tombe. Elle le découvre quelques semaines plus tard, une fois la relation nouée et l’envoi de quelques photos intimes pour se livrer un peu plus.
Seulement, point d’amour à l’horizon, juste un piège qui se referme ! Les masques tombent. La manipulation sentimentale se poursuit par du harcèlement. Là aussi, on explique qu’il n’y a pas d’autres choix que coopérer, sinon les photos seront envoyées sur le web, la boîte mails des collègues, des enfants, etc. Il faut payer pour que la sordide affaire demeure souterraine. Un silence à prix d’or… « J’ai eu envie de me foutre en l’air, de disparaître… On est victime, et on ne peut pas en parler » explique la voix de l’otage qui s’élève enfin. Tant lui a déjà été volé…
Dans les cas d’arnaque à la romance, il existe une association d’aide AVEN EUROPE. Ses membres pistent les brouteurs sur Facebook où ils retrouvent leur véritable identité et leur dizaine de faux profils avec lesquels ils font un étrange commerce et tuent des internautes à petit feu. Ou brutalement. « Il y en a qui se sont suicidés. Les victimes ont une vie complètement détruite. Ce sont des gens qui n’ont plus aucun recours, qui ne savent plus vers qui se tourner. Apparemment, tout le monde s’en fout ! » s’indigne le leader de la Team Muguhunters. Comme les Anonymous, sa troupe de justiciers informaticiens lutte dans l’ombre contre cette forme de cybercriminalité.
Après les réseaux sociaux, Olivier Delacroix a enquêté sur les manipulateurs. Il explique que le manipulateur peut être un homme ou une femme en apparence équilibré, un ami, un père, une mère, un mari, une conjointe et cerise sur le gâteau, travailler dans des secteurs d’activités en rapport avec le soin du corps, le bien-être et la santé ! En France, ils seraient 3000 à 4000 médecins dans des mouvements sectaires.
« Les prédateurs préfèrent les gens qui ont du répondant. Briser un caractère fort, c’est bien plus intéressant pour eux ! »
Le bourreau veut apparaître comme le seul et unique recours. Il élabore « un travail de dentelle psychologique » selon les mots de l’avocat d’une famille restée dix ans recluse dans un château puis à l’étranger sous l’emprise d’un pervers narcissique. Parmi ses membres, la femme d’un journaliste qui n’a jamais cessé de témoigner dans la presse pour l’extraire de là. Mais aussi un gynécologue, un ingénieur, etc. Ils auraient pu être professeurs, avocats ou juges, toutes professions dans lesquelles écoute des autres, communication et empathie sont nécessaires.
Selon la représentante de l’association AJC contre la violence morale intrafamiliale, les prédateurs aiment par-dessus tout les fortes personnalités qui sont plus intéressantes à détruire ! Prédateurs, terme habituellement réservé aux loups ou aux requins, ce qui me donne l’occasion de sortir les miens des abysses… L’un d’eux occupe ma tablette numérique depuis des mois, « Pirate Génial » venu de Facebook attiré par les journalistes, la plongée et la lumière ?
Les enfants aussi peuvent être manipulés. A l’instar de ceux de cette femme qui, avec le temps, a réuni autour d’elle des adeptes de ses visions divines. Secte ! « Parce que c’était ma mère, elle se donnait le droit de nous raconter des mensonges. Elle s’est moquée de nous, ses enfants. Et des autres… J’ai encore du mal à concevoir qu’une mère puisse abuser de ses enfants psychologiquement » témoigne sa fille qui ne l’a plus jamais appelé maman.
Mais c’est avec émotion et tendresse qu’elle parle de ce papa, abusé lui aussi. « On lui a volé son bonheur de père ! C’est de là que je me dis que ça ne peut pas être une mère ». Dernier exemple de manipulation, la « moitié » charmante en public, ignoble en privé… Elle oblige l’être aimé à ne jamais quitter son téléphone portable afin qu’il reste disponible et corvéable par textos. Voilà comment un smartphone devient objet de tyrannie assénant les coups comme les « maux doux » infligés oralement : « Tu n’es rien, tu n’es absolument rien ! Tu n’existes même pas ! ».
Violence morale. « Et puis il y a la violence de tous les autres qui ne vous croient pas, cette complicité silencieuse qui vous enfonce » raconte quelqu’un qui a si souvent pensé au suicide mais a survécu pour ses enfants.
Lorsqu’elle a essayé de briser la loi du silence, son entourage a tourné la tête ailleurs. Pour ne pas voir. Faire ce choix était plus facile pour tout le monde. Tout le monde ? Pas tout à fait si l’on regarde bien dans les yeux d’Olivier… Même dans le noir et le froid, il reste toujours quelque part une étincelle de vie et des gens restés humains prêts à raviver laflamme…
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