En danger critique d’extinction, la population des orangs-outans de Bornéo a diminué de moitié en 16 ans. Face à ce drame, les centres de réhabilitation des grands singes se multiplient mais, selon des chercheurs, ils aggraveraient la situation.
Réserve de Semenggoh (État du Sarawak, Bornéo, Malaisie), reportage
« Anouar, Analisa, Mas. » Deux fois par jour, à l’appel de leur nom, les orangs-outans descendent lentement des arbres pour se délecter des fruits offerts par les rangers du centre de réhabilitation de Semengoh. Une vingtaine de grands singes peuple cette réserve située dans la partie malaisienne de l’île de Bornéo. Anciens captifs ou orphelins, les orangs-outans sont amenés ici avec l’espoir qu’ils puissent un jour retrouver une vie sauvage.
Ci-dessous la vidéo de notre reportage :
« La nourriture que nous leur donnons est un supplément, explique Murtadza, l’un des rangers du centre. Quelques-uns ne sont pas venus manger depuis des années, ce qui est très bon signe puisque cela prouve qu’ils sont redevenus sauvages. » Pourtant, beaucoup de ces orangs-outans ne pourront jamais se débrouiller seuls, même après l’entraînement intensif fourni par les employés du centre.
Cette aide individuelle n’est qu’une goutte d’eau face à la menace qui pèse contre l’espèce. Selon une étude parue mi-février dans la revue scientifique Current Biology, 148.000 orangs-outans de Bornéo ont disparu entre 1999 et 2015, bien plus que ce qu’avaient estimé les chercheurs. Il ne resterait aujourd’hui que 70.000 à 100.000 individus et quelques milliers à peine des deux autres espèces d’orangs-outans connues. Toutes sont classées par l’Union nationale pour la conservation de la nature (IUCN) comme en danger critique d’extinction. Massacres et destruction de la forêt Principale cause de la disparition des orangs-outans de Bornéo : la perte de leur habitat naturel, la forêt cédant peu à peu sa place aux plantations industrielles d’huile de palme. Mais ces dernières années, un autre facteur a lourdement pesé : le massacre de la population. Les résultats de l’étude montrent que sur le nombre total d’orangs-outans disparus en 16 ans, 70 % ont été perdus dans des forêts encore intactes. Les grands singes sont tués « pour leur viande, pour alimenter le trafic d’animaux domestiques ou sont encore victimes de conflits avec les humains , notamment lorsqu’ils s’introduisent dans les plantations », explique Maria Voigt, chercheuse à l’institut Max-Planck d’anthropologie en Allemagne et coautrice de l’étude.
Face à ce problème, la chercheuse plaide pour la mise en place de politiques de protection et de prévention efficaces. Par exemple, l’indemnisation des agriculteurs dont les plantations ont été détruites par les orangs-outans pour éviter les représailles ou encore l’application de sanctions dissuasive contre les auteurs de massacres.
Une certitude pour Maria Voigt : les centres de réhabilitation sont loin de constituer une solution adéquate, au contraire. « C’est un piège. Bien sûr que cela fait une différence pour ces orangs-outans, mais c’est très couteux et l’argent serait mieux utilisé pour prévenir ces cas », estime-t-elle. « Clairement, cette stratégie de protection ne fonctionne pas » En effet, selon une étude parue en 2014 dans la revue scientifique Plos One, la réhabilitation réussie d’un seul orang-outan coûte très cher : plus de 44.000 dollars. Un budget considérable, sachant que plus d’un millier d’orangs-outans sont en réhabilitation dans la dizaine de centres que compte l’île de Bornéo.
« Cela permet aux gouvernements de dire que l’on fait quelque chose. Mais la réalité est que, ces 15 dernières années, nous avons perdu plus de 100.000 orangs-outans sauvages contre peut-être un millier seulement réintroduits dans la nature », dit Erik Meijaard, professeur à l’université du Queensland en Australie et coauteur de l’étude. « Clairement, cette stratégie de protection ne fonctionne pas. »
Tout comme Maria Voigt, le professeur dénonce un « business » encouragé par les États. Mis en lumière par les médias et les ONG, les centres de réhabilitation récoltent la plupart des donations internationales, selon ces chercheurs, et ce au détriment de programmes de protection des forêts. Pourtant, rappelle Erik Meijaard, « si nous réglons cette dernière question, nous résoudrons le problème des orangs-outans ».
Source et vidéo : Camille Dubruelh pour Reporterre Photo : . chapô : Théodora, une orang-outan de Bornéo (« Pongo pygmaeus ») femelle de la ménagerie du Jardin des plantes, à Paris, en 2014. Wikimedia (Jiel Beaumadier/CC BY-SA 4.0)
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VIDÉO - À Bornéo, les centres de soin ne sauveront pas les orangs-outans ! Par Camille Dubruelh (Reporterre)